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   Hôm nay Thứ sáu, 19/04/2024 - Ngày 11 Tháng 3 Năm Giáp Thìn - PL 2565 “Tinh cần giữa phóng dật, Tỉnh thức giữa quần mê, Người trí như ngựa phi, Bỏ sau con ngựa hèn”. - (Pháp cú kệ 29, HT.Thích Minh Châu dịch)
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 Thiền Phái Trúc Lâm Việt Nam Thế Kỷ 20-21

Chương 5-ORIGINE DES CONFLITS, SOURCE DES SOUFFRANCES

CHAPITRE V
L’ATTACHEMENT : ORIGINE DES CONFLITS, SOURCE DES SOUFFRANCES

Durant notre vie, nous nous plaignons tous, pauvres ou riches, de nos propres souffrances. Nous en sommes conscients tout en ignorant leur cause originelle.

Lorsque le commun des mortels souffre, il reste impuissant. Il ne sait qu’implorer la pitié de Bouddha, des dieux, ou encore se lamenter.

Un bouddhiste refuse d’accepter une telle attitude, mais alors il doit chercher à remonter jusqu’à l’origine de ses souffrances. A tout effet correspond nécessairement une cause. Quelle est donc la cause de nos souffrances ? C’est l’attachement acharné qui est la vraie cause de tous conflits et souffrances. Le lâcher-prise les fait disparaître. Nous verrons plus clair en lisant un extrait du Puῆῆa** sutta.

PRÉCEPTES FONDAMENTAUX DU PUÑÑA SUTTA

Lorsque Bouddha séjournait au monastère du richissime Anāthapiṇḍika** dans le jardin du Prince Jeta**, dans la capitale Sāvatthi**, Ārya Puῆῆa** vint Le solliciter, pour qu’Il lui transmette les bases de l’enseignement qui lui permettrait de pratiquer assidûment dans la forêt. Bouddha lui dit :
- Si les yeux voient les formes, les poursuivent et s’y attachent, c’est la souffrance. De même, si les oreilles entendent des sons, le nez sent les odeurs, la langue goûte les saveurs, le corps ressent au toucher, l’esprit poursuit son objet mental et s’ils s’y attachent, c’est la souffrance et l’éloignement du Nirvāṇa. En revanche, le non-attachement à ces perceptions supprime la souffrance (rapprochement du Nirvāṇa).
Bouddha demanda à Puῆῆa :
- Après  avoir compris ceci, où comptez-vous aller pour vous perfectionner ?    
Ārya Puῆῆa lui répondit : 
- Ô Bhagavant*, je vais à l’île Sunaparanta se trouvant dans la mer de l’Est. 
- Les habitants de ce pays sont violents et méchants, ils vont vous réprimander et vous insulter. Qu’en pensez-vous ? 
- Ô Bhagavant, je pense qu’ils sont encore bons, car ils ne me frappent pas avec leurs mains. 
- Ils vont vous frapper avec leurs mains. Qu’en pensez-vous ?
- Ô Bhagavant, je pense toujours qu’ils sont encore bons, car ils ne me lancent pas des morceaux de terre et des pierres. 
- Ils vous lancent des morceaux de terre et des pierres. Qu’en pensez-vous ?
- Ô Bhagavant, je pense toujours qu’ils sont encore bons, car ils ne me donnent pas de coups de bâtons.
- Ils vous frappent avec des bâtons. Qu’en pensez-vous ?
- Ô Bhagavant, je pense toujours qu’ils sont encore bons, car ils ne me pourfendent pas avec des couteaux tranchants. 
- Ils vous pourfendent avec des couteaux tranchants. Qu’en pensez-vous ? 
- Ô Bhagavant, je pense toujours qu’ils sont encore bons, car ils ne me tuent pas.
- Ils vous tuent. Qu’en pensez-vous ? 
- Ô Bhagavant, je pense toujours qu’ils sont vraiment bons, car ils m’auront aidé à me débarrasser de ce corps souillé et misérable. 
Bouddha acquiesca :
- Vous pouvez alors rejoindre ce pays pour sauver ceux qui ne sont pas encore sauvés. 
Ārya Puῆῆa rejoignit ce pays, y effectua trois mois de retraite sans incident particulier, accéda à la Triple Connaissance*. Il permit ainsi aux cinq cents pratiquants laïcs et cinq cents pratiquantes laïques de se libérer de leur attachement en appliquant le Dharma.

EXPLICATION  DÉTAILLÉE DE LA PRATIQUE DU DHARMA

Nos yeux perçoivent les formes. Dès que nous nous mettons à poursuivre ces formes jusqu’à l’attachement, la cause de la souffrance apparaît. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que nos yeux ne perçoivent pas les objets de façon uniforme, car chacun de nous a acquis des habitudes ancrées dès le plus jeune âge, ce qui crée des différences de vues. Avec de telles divergences, si nous demeurons persuadés d’être détenteurs de l’unique vérité, toute querelle sera inévitable. La dispute engendre l’affliction, l’attachement engendre la souffrance.

Prenons l'exemple de cinq femmes présentes ensemble dans une boutique de tissu. Elles sont devant un même tissu de même texture teinté en cinq coloris différents. Chaque femme a une préférence pour l’un des coloris. L’une ayant choisi le tissu vert décrète que le vert est beau, et l’autre préférant le tissu rose insiste pour dire que le rose est plus joli… Si chacune d’elles affirme que le coloris choisi est vraiment le plus magnifique, cela risque fort de provoquer une dispute. Assurément, il sera difficile de l’éviter. Or, la dispute est source de colère et de haine, ce qui a pour conséquence la souffrance. Qui donc peut s’affirmer capable d’arbitrer les préférences pour tel ou tel coloris ? Où se trouve donc la vérité ?

Si nous admettons que chacun puisse avoir une vision personnelle, que la perception de la beauté est une notion subjective et non absolue, nous serons plus tolérants les uns envers les autres en évitant ainsi des querelles inutiles. C’est faire preuve de sagesse, car nous éviterons ainsi toute survenue de malheur.

Si les yeux voient les formes et les poursuivent, c’est le désir d’attachement. S’il y a désir, la préhension s’ensuivra. Le désir d’attachement et la préhension sont les germes de la souffrance et de la renaissance pour toute vie future. Par ailleurs, le désir d’attachement est également source de conflit dans notre vie présente. Supposons que nous soyons attirés par la beauté d’un coloris ; d’autres peuvent l’être aussi. En sachant que si nous l’emportons, nécessairement, les autres y perdront. Si chacun désire accaparer à tout prix les choses à son profit, la lutte sera inévitable. Or, tout conflit fait souffrir, et les afflictions engendrées constituent l’origine de tout éloignement du Nirvāṇa.

Pourquoi nos oreilles qui captent les sons et s’y attachent sont-elles aussi à l’origine de nos souffrances ? C'est parce que notre perception n’est pas identique à celle des autres. Suite à l’accumulation de différences propres à chacun, nous formulons des jugements distincts. Par exemple, en écoutant ensemble le même sermon, il y a des gens qui l’apprécient ou le critiquent, ou encore d'autres qui préfèrent tel ou tel passage. De même, à l'audition d'une oeuvre musicale, le professionnel peut émettre des critiques alors que l'amateur l'appréciera avec ferveur. Notre écoute et notre appréciation dépendent, là aussi, de nos habitudes. Si nous considérons notre perception comme vérité, celle des autres devrait l’être également. Les deux vérités confrontées entraînent obligatoirement la polémique engendrant la souffrance. L’attachement est donc la souffrance.

Un adage populaire dit que « la vérité provient uniquement de ce que nous avons pu constater par la vue et l’ouïe ». Cependant, si nous poursuivons les sons, nous risquons alors de souffrir, car il existe des paroles excellentes ou médiocres, bonnes ou mauvaises, élogieuses ou pleines de réprobation . Si les compliments nous procurent de la joie, si les critiques provoquent notre colère, si la bonne opinion nous donne satisfaction, et si la mauvaise opinion engendre le mécontentement, tout cela est source de souffrance et a pour conséquence l’éloignement du Nirvāṇa.

Le nez sent les odeurs et les poursuit jusqu’à l’attachement engendrant la souffrance. Pourquoi? La même odeur est différemment perçue par chacun de nous. Elle peut être parfumée ou mal odorante selon nos accoutumances. Prenons le cas du durian**. Son odeur est appréciée par les connaisseurs et dérangeante pour les néophytes. Où donc est la vérité ?  Si chacun pense détenir la vérité, la polémique sera inévitable. Prenons un autre exemple : l’odeur de la saumure**. Celle-ci pourra être parfumée pour les uns et tout à fait repoussante pour les autres , des non connaisseurs. Comment savoir apprécier la vérité à sa juste valeur? Nous avons la triste habitude de nous fâcher lorsque quelqu’un taxe de puante une odeur que nous aimons beaucoup. C’est là que réside la cause de conflits dont la conséquence est souffrance.

Si nous nous laissons capter par ces odeurs, nous risquons d’être leurrés très facilement et entraînés jusqu’à notre perdition. Cela fait également partie du cortège désir d'attachement, possession et source de Saṃsāra*.

La langue savoure le goût et le poursuit jusqu’à l’attachement, lequel engendre la souffrance. Pourquoi en est-il ainsi ? Le goût est perçu différemment à travers nos propres perceptions qui sont enregistrées selon nos habitudes antérieures. Et malgré cette constatation reconnue, si chacun considère que son goût est le plus aiguisé, la discussion qui s’ensuit sera sans fin.

Prenons le cas d’une personne qui aime saler ses aliments, qui agrémente un potage selon son goût et qui le fait goûter à une personne habituée aux plats non salés. Cette dernière ne peut que le délaisser. Deux personnes ont goûté le même potage et émis deux appréciations tout à fait divergentes. De quel côté se situe la vérité ? Si nous demandons à une tierce personne de prendre le même potage, comment prédire si son avis se rapprochera de celui de la première ou de la seconde personne, compte tenu de ses préférences. L’attachement personnel au goût amènera inévitablement à la dispute. Il existe des familles où maris et femmes, parents et enfants ont des goûts différents. Si nous obligeons par contrainte les autres à adopter notre goût, ils seront malheureux. Imposer ses goûts avec force est source de mésentente. C’est alors l’origine de la souffrance.

Celui qui est prisonnier des exigences de son goût en souffrira jusqu’à la fin de ses jours. Un menuisier avec son petit salaire journalier et ayant des exigences culinaires onéreuses n’aura pas suffisamment de moyens pour satisfaire ses autres besoins et sera obligé de travailler sans répit. L’attirance des bons plats équivaut à un désir d’attachement aux saveurs, et l’attachement engendrera l’appropriation, source de souffrance dans la vie future et d’éloignement du Nirvāṇa.

De même, poursuivre les sensations provenant du contact avec le monde environnant est source de souffrance. Pourquoi ? Cette perception dépend de la constitution physique de chacun. Enfermées dans une même pièce à 18° C, la personne de forte corpulence la trouvera tempérée, et la personne maigre tremblera de froid. Cette dernière ira refermer la fenêtre pour conserver la chaleur, alors que la première voudra l’ouvrir pour aérer. Ainsi, elles pourront en venir aux mains. Encore une fois, l’attachement à notre perception personnelle génère facilement des affrontements. Une cohabitation conflictuelle sera source d’afflictions et de souffrance.

Plus encore, poursuivre jusqu’à l’attachement les plaisirs charnels est source de fracture familiale, et germe de souffrance interminable du Saṃsāra.

Quand le mental est face à son objet, s’il le poursuit et s’y attache, il engendrera la souffrance. L’objet mental est le cumul de toutes les images du monde extérieur enregistrées au fur et à mesure dans le cortex cérébral. Le mental basé sur ces signaux cryptés émet des jugements sur toutes les choses survenant exactement comme si les objets étaient vus à travers les verres de lunettes colorées. Les habitudes familiales, les conditions socio-culturelles constituent autant de particularités propres à chacun. Elles jouent le même rôle que le port de lunettes de couleurs différentes. Garder son idée fixe ou imposer sa vision aux autres est une chose inacceptable, car cette idée fixe entraînera des situations conflictuelles quotidiennes. Que de couples divorcés, de fratries séparées, de reniements des enfants par leurs parents ! Tout ceci est dû à ces divergences de vue ou à la non-acceptation de l’avis des autres.

Prenons le cas du couple, il est quasiment impossible que mari et femme soient toujours du même avis, puisque l’épouse est souvent confinée aux tâches ménagères et à la fréquentation d’autres femmes, alors que le mari a des relations extérieures, plus souvent entre hommes. Les habitudes acquises de part et d’autre sont tellement différentes qu’il leur est alors difficile d’avoir des perceptions identiques. Exiger qu’ils aient des vues similaires relève de l’illogisme.

De même, la compréhension entre parents et enfants est-elle aussi délicate, car leurs expériences sont vécues dans des générations différentes. Si le fils pense exactement comme son père, sa vie aura forcément rétrogradé d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années. Pour vivre en harmonie avec les autres, il est nécessaire de faire preuve de plus de compréhension et de lâcher-prise à tout attachement personnel pour pouvoir profiter de la paix et du bonheur dans la vie.

Si le mental s’agite en suivant ses pensées perturbatrices, afflictions et souffrances ne cesseront de nous tourmenter. Si nous désirons garder la sérénité de l’esprit, nous devrons arrêter toute poursuite des objets mentaux. C’est alors la cessation de la souffrance et l’approche du Nirvāṇa.

Ce qui a été présenté ci-dessus n’est autre que l’explication détaillée de la pratique d’ārya Pūrna**, lequel a pu saisir de façon concrète et simple l’enseignement du Bouddha. En pratiquant ce Dharma durant trois mois seulement, Pūrna a pu accéder à la Triple Connaissance surnaturelle* et aider ainsi des milliers de bouddhistes laïcs à se libérer de leur attachement.

QUELLE EST LA RAISON DE LA REALISATION SPIRITUELLE SI RAPIDE DE PUÑÑA ?

Tout d’abord, il a su appliquer avec justesse la pratique de la Voie authentique. C’est pourquoi il obtint des résultats si rapides. Nos six sens sont à la source de nos péchés, mais ils sont aussi à la base même de notre libération. Ils seront nos « six brigands *» si nous nous trompons sur leur nature. En revanche, ils seront nos « six pouvoirs surnaturels » si nous savons rester vigilants et éveillés. Si nous ne saisissons pas le fondement de notre réalisation spirituelle et si nous nous attachons aux formes, nous n’aboutirons à rien, même si nous y consacrons toute notre vie. Comment pourrions-nous mettre fin à tous nos soucis et à toutes nos peines si, dans la pratique, nous restons dans la dualité du vrai et du faux, du gain et de la perte ? Tant que nous resterons dans cette alternative, nous serons loin du Nirvāṇa.

Il a aussi fait montre d’un esprit courageux, sans crainte des dangers.

Au Bouddha qui lui demandait l’endroit qu’il avait choisi pour continuer paisiblement la poursuite de la Voie, Puῆῆa répondit : « je vais à l’île Sunaparanta se trouvant dans la mer de l’Est ». Le Bouddha le mit immédiatement en garde contre la férocité et la cruauté des gens de ce pays. Ārya Puῆῆa** ne s’embarrassa aucunement. Il continua à affirmer très calmement sa ferme intention de s’y rendre. Le Bouddha voyant sa volonté inébranlable et sa compassion, accepta d’autant plus qu’il savait sa réussite assurée. Il lui dit : « Il est très souhaitable que vous y alliez pour sauver les gens qui ne l’ont pas encore été ».

C’est par cette volonté imperturbable à braver l’adversité, mais aussi grâce à sa grande générosité et à sa tolérance envers le monde qu’il atteignit très vite sa réalisation spirituelle. Quel que soit l’attitude hostile des gens à son endroit, il ne gardait aucune haine et aucun désir de vengeance envers eux. Qu’en est-il pour nous ? Le courage et la témérité devant le danger sont souvent absents. Notre ego une fois blessé, nous en voulons à ceux qui l’ont touché. Quand pourrons-nous atteindre alors la libération ?

BRAHMAJĀLA SŪTRA Sūtra du filet de Brahma

Dans la même optique d’enseignement, dans le Brahmajāla sūtra*, chaque fois qu’il est question des opinions erronées des non-bouddhistes*, le Bouddha a toujours dit : « Seul le Tathāgata* connaît parfaitement leurs erreurs, allant même jusqu’à déceler le fondement de leurs croyances, montrer comment ils s’y attachent et quelles sont les conséquences de cet attachement. En revanche, le Tathāgata ne se laissant prendre par aucun attachement, parvient à la libération complète. Vis à vis des sensations, le Tathāgata reconnaît leur apparition et leur disparition, les désirs d’attachement aux sensations et les risques de leur emprise, et trouve les moyens de s’en libérer. Avec la sagesse obtenue par la vision profonde, le Tathāgata atteint l’Eveil » (Brahmajāla dans l’Āgama sūtra* des textes longs).

À la lecture de ce passage du Sūtra, nous voyons clairement que Bouddha connaît tous les mécanismes profonds de l’attachement des non-bouddhistes et bien au-delà. Avec l’esprit inconditionné, Il a pu se libérer totalement. Le Bouddha a parfaitement discerné que l’attachement conduit aux afflictions avec tout son cortège de souffrances. Il a montré une connaissance profonde des dharma et, avec le lâcher-prise total, Il se délivre du cycle de Saṃsāra.

Dans le passage suivant, Bouddha a montré la connaissance parfaite de l’apparition et  de la disparition des sensations ainsi que de la façon de s’en libérer…

Pour qu’il y ait sensation, il faut le contact des six organes des sens avec les six objets de connaissance. Ce contact engendre les sensations, les désirs d’attachement, la possession qui sont générateurs de souffrances dans notre vie présente et sources de notre re-naissance dans la vie future. Grâce à sa sagesse infinie, le Bouddha observe avec équanimité toutes les sensations heureuses ou malheureuses dont la nature intrinsèque provient d’un assemblage non réel, non permanent et éphémère. C’est pourquoi, Il ne se laisse pas capter par le désir et s’en libère aisément.

Plus loin, dans le même Sūtra, Bouddha dit ceci : « Les brahmanes et certains pratiquants religieux professent que le monde est permanent et soutiennent que le Nirvāṇa* est la vie présente. Pour l’affirmer, ils se basent essentiellement sur l’interdépendance des six organes des sens sans lesquels il n’y aurait pas d’existence possible. »

Face aux sensations des six organes des sens, le moine, lui, possède la connaissance juste du processus interne de leur genèse, de leur extinction et des désirs d’attachement et de préhension qu’ils génèrent. Il ne pourra donc pas tomber dans l’engrenage des perceptions erronées et ainsi il s’en libèrera. Les non-bouddhistes*, par leurs six organes de sens en contact avec leurs six objets de connaissance, perçoivent des sensations qu’ils prennent pour vraies et s’y attachent fermement. Si les autres éprouvent des sensations différentes des leurs, ils les considèrent comme fausses. C’est à cause de cet attachement à soi que les uns se mettent facilement à se disputer avec les autres, que tels groupes s’opposent à tels autres. Il en résulte des discussions et des protestations futiles n’ayant pour conséquences que afflictions et haine ! Avec leurs opinions partiales et superficielles, les non-bouddhistes ne peuvent pas résoudre d’une manière satisfaisante les problèmes de façon globale.

En revanche, les personnes qui, à travers le contact éprouvent des sensations et reconnaissent que leur vraie nature naît grâce au phénomène de la Production Interdépendante* et disparaît selon le principe de l’Impermanence*, eux, peuvent résoudre les problèmes d’une manière satisfaisante. Le désir d’attachement conduira à produire du karma négatif et le lâcher-prise permettra de sortir du carcan de l’attachement mental et d’atteindre enfin le Nirvāṇa.

On trouve également dans les textes longs de l’Āgama Sūtra*, un exemple cité par Bouddha : l’histoire des aveugles touchant un éléphant. Un jour, devant sa cour au complet, le roi exprima le souhait de savoir comment les non-voyants perçoivent le monde extérieur. Il invita des aveugles et les mit en présence d’un éléphant. Une fois que ces personnes furent en place, le roi et les ministres vinrent assister à cette expérience.

Le roi demanda au chef du protocole de placer les non-voyants en deux rangées de part et d’autre de l’éléphant.

Le chef du protocole dit aux aveugles :

- Devant vous, il y a un éléphant. Veuillez vous avancer et le toucher. Vous devez décrire la morphologie de cet animal au roi et à tous les dignitaires ici présents. Celui qui arrivera à faire une description exacte sera bien récompensé. 

Alors, tous les aveugles se précipitèrent pour toucher l’animal. Celui qui toucha le pied déclara que l’éléphant ressemblait à une colonne ; celui qui toucha le ventre annonça qu’il était comme un tambour ; celui qui toucha la queue prétendit qu’il était comparable à un balai… Bref chaque aveugle décrivit l’animal à sa manière. Chacun affirma que son opinion personnelle était correcte et prévalait sur celle des autres. Personne n’était d’accord avec personne. Puis tous les aveugles se disputèrent bruyamment ! Finalement ils prièrent le roi et les ministres d’arbitrer leur litige et de désigner celui qui avait raison.

Dans ce cas que pouvaient donc répondre le roi et ses ministres, eux qui pouvaient voir l’éléphant tout entier avec leurs yeux de voyants ? Ils pouvaient dire : « Vous avez tous raison et vous avez tous tort ! » Les aveugles se satisferaient-ils de cette réponse ? Bien sûr que non. Ils ne lui accorderaient aucune valeur. Pourtant, nous savons que la description de chaque chose ne peut être juste et fausse, car il n’existe pas de chose à la fois juste et fausse. Le roi et les ministres voyaient l’éléphant dans sa totalité. Ils ne pouvaient se résoudre à accepter qu’un aspect partiel puisse représenter intégralement l’animal.

Dans l’exemple ci-dessus, les aveugles, représentant les hommes que nous sommes, ne perçoivent qu’une parcelle de vérité et s’enferment sans scrupule dans leur point de vue égotiste, source de conflits avec les autres. Le roi et les ministres représentent le Bouddha et les Boddhisattva qui, ayant acquis « l’Éveil » et perçu la vérité absolue, réalisent le non-attachement et ne prennent parti pour aucun groupe. C’est pourquoi le Bouddha qualifie cet état d’esprit de l’Omniscience* et de la Connaissance supérieure de tous les dharma*. Ainsi Bouddha conclut : « Le Tathāgata est conscient de tout sans y être attaché en vue d’obtenir la libération parfaite. »

Nous, les hommes, au contraire, nous sommes habitués à vivre dans les illusions. C’est pourquoi chaque fois que nous estimons que quelque chose est digne d’intérêt, nous en faisons une fin en soi dont la vérité doit être proclamée à tous. Si quelqu’un nous contredit, nous lui répliquons vivement qu’il est dans l’erreur. C’est à ce stade que naissent des rivalités qui s’enveniment chaque jour davantage, créant ainsi des désagréments de plus en plus nombreux.

En revanche, si nous reconnaissons que notre point de vue ne représente qu’une partie ou qu’une facette de vérité, alors nous pouvons admettre que chacun a partiellement raison. Être prêt à accepter les vues des autres, jouer la complémentarité est une attitude positive, tandis que s’opposer systématiquement aux autres est une attitude négative. Dans ce monde, si chacun de nous adoptait une telle vision, la vie serait réellement plus heureuse.

Dans différents sūtra, Bouddha a énoncé cet enseignement à propos du respect et de la défense de la vérité: « Si quelqu’un aborde un sujet et que je l’ai approuvé, ceci ne constitue que ma propre opinion ». Une personne qui pense ainsi saura respecter la vérité.

En revanche, « si à propos d’un sujet que j’ai approuvé, je donne raison à ceux qui adhèrent à mon point de vue et donne tort à ceux qui voient différemment », je ne respecterai ni ne défendrai la vérité. La plupart d’entre nous appartiennent à cette deuxième catégorie de personnes qui ne savent pas respecter la vérité. C’est cette attitude partiale qui nous pousse à nous donner toujours raison à nous-mêmes et tort à autrui qui est notre maladie de toujours.

VAJRACCHEDIKĀ PRAJÑĀPĀRAMITĀ SŪTRA Sūtra du Diamant tranchant de la Sagesse transcendante

Avec le même esprit que dans le Brahmajāla Sūtra*, dans le Sūtra du Diamant*, l’ārya Subhūti** a posé deux questions fondamentales au Bouddha:
- S’il y a des hommes ou des femmes aspirant à la réalisation de l’Eveil Suprême et Parfait*, comment feront-ils pour obtenir la concentration mentale et la maîtrise de l’esprit ?
Le Bouddha répondit d’abord à la première question sur la concentration mentale :
-  Si des hommes ou des femmes sages aspirent à réaliser l’Eveil Suprême et Parfait, il faudrait que leur esprit ne s’attarde nulle part, que ce soit dans les formes, le son, l’odeur, le goût, la sensation tactile ou l’objet mental. Sans s’attarder à de telles apparences, ils pourront alors réaliser l’Eveil Suprême et Parfait.

En effet, Bouddha nous a enseigné que dans la voie de la réalisation de l’Eveil, chaque fois que nos six sens se trouvent face à ses six objets de connaissance, il ne faudra pas nous laisser attacher par ces derniers. Car c’est justement ce non-attachement qui constitue l’Eveil.

Dans l’Āgama Sūtra*, Bouddha a dit : « Le Tathāgata sait tout mais ne s’y attache pas ». Et Il précise: « Ce non-attachement est l’Eveil ». Lorsque la réalisation de l’Eveil est totale, le non-attachement est manifeste, et c’est justement ce lâcher-prise total qui facilite la réalisation du calme mental.

C’est ainsi que le sixième Patriarche Huệ Năng**, lorsqu’il écoutait le cinquième Patriarche commenter ce passage du Sūtra du Diamant, réalisa sa compréhension suprême. Il s’écria d’émerveillement :

- Qui aurait douté que notre nature propre est depuis toujours pure et sereine ! Qui aurait douté qu’elle englobe tout ! Qui aurait douté qu’elle est non-née et immuable !...

Le sixième Patriarche a vu que, non seulement nos six sens ne sont pas liés aux six objets de sens, réalisant ainsi l’émancipation totale, mais encore que notre propre nature, pure et sereine de toujours, englobant tout, non-créée et non-annihilable, apparaîtra dans toute son évidence  … C’est ainsi qu’il entra directement  dans le Corps du Dharma* sans passer par la voie de libération des Deux Véhicules*.

Jusqu’ici, nous avons constaté que dans les Canons Āgama et Prajῆāpāramitā, il est toujours indiqué que, dans la pratique de la libération de toute emprise et dans la réalisation de l’Eveil, la tâche essentielle est le non-attachement des six sens à l’égard des six objets de connaissance. Être libérés ou emprisonnés dans le cycle du Saṃsāra, cela est dû au simple fait que nos six sens sont libres ou encore attachés à leurs objets de sens.

Tout pratiquant qui poursuit la Voie de la libération devrait comprendre clairement ce point essentiel.

ŚURAṂGAMA SŪTRA Sūtra de l’héroïque

Dans le Śuraṃgama Sūtra*, on retrouve la même approche que dans les précédents sūtra. Après avoir écouté Bouddha expliquer « le sens de la deuxième décision », Ārya Ānanda** fit cette demande : « Que le Grand Miséricordieux ait pitié de nous qui avons succombé à l’emprise des sens, qu’Il veuille bien nous apprendre leurs pièges et la manière de les déjouer, pour que dans le futur tous les êtres humains puissent être délivrés du cycle du Saṃsāra, sans tomber dans les Trois Mondes*... »

A cet instant, Ārya Ānanda, ainsi que tous les auditeurs, ont entendu de la bouche des Tathāgata* des dix directions* de l’univers, aussi nombreux que les poussières des étoiles, ces paroles adressées à tous: « Parfait, Ānanda ! Si vous voulez connaître l’origine de l’ignorance constituant le nœud initial de la chaîne vous conduisant au Saṃsāra, sachez que ce ne sont que vos six sens* et rien d’autre ; Si vous voulez connaître également la nature suprême de l’Eveil vous permettant d’atteindre l’émancipation, la sérénité et la joie, le calme silencieux, avec des réalisations merveilleuses, sachez que ce sont aussi vos six sens, et rien d’autre » (Śuraṃgama sūtra traduit par Tâm Minh).

Ainsi, non seulement Bouddha, mais aussi tous les Tathāgata dans l’univers désignent les six sens comme l’origine du cycle du Saṃsāra et aussi celle de la délivrance. L’ignorance est l’attachement aveugle de nos six sens nous entraînant dans le cycle du Saṃsāra. La bouddhéité est la nature éveillée de nos six sens nous menant à la sérénité et à la délivrance… Après avoir compris cette notion fondamentale, nous n’avons plus de doute dans la recherche de notre voie de la délivrance qui repose alors sur une base solide.

Ārya Ānanda, n’étant pas encore tout à fait convaincu de ce qu’il avait appris, s’incline devant Bouddha en lui demandant:

- Comment se fait-il que le mobile qui déclenche à la fois le cycle de Saṃsāra ou la sérénité et la joie, les merveilles de l’instant, demeure toujours nos six sens et rien d’autre ?
Bouddha lui répond : 
- Les organes des sens et les objets de connaissance proviennent de la même source, leur attachement et leur lâcher-prise sont de même nature ; la connaissance discursive est aussi illusoire que les scintillements au firmament. Ānanda, grâce aux objets des sens, a vu se manifester la reconnaissance consciente par les organes des sens. Grâce à ces derniers, ont pu surgir les formes des objets des sens. La forme des objets vus et la perception visuelle des objets n’ont pas d’identité propre, à l’image des roseaux à flèches s’appuyant les uns sur les autres. Ainsi, au niveau de la connaissance, si vous y introduisez l’esprit discriminant, naît l’ignorance*. En revanche, la connaissance détachée de toute conscience discriminante procure la sérénité authentique du Nirvāṇa, épurée de toute souillure » (Śuraṃgama Sūtra traduit par Tâm Minh).

Dans cette partie, Bouddha explique clairement que les organes sensoriels, les objets des sens ainsi que les consciences des sens sont tous trompeurs comme des scintillements dans le firmament, comme des faisceaux de roseaux sans appartenance propre, s’appuyant les uns sur les autres. L’attachement à tout objet "non-réel" sans nature propre et la considération que la perception sensorielle est vraie, constituent la source de l’Illusion* nous entraînant dans le cycle du Saṃsāra. Être conscient de toute chose mais sans esprit discriminant est la perfection sans souillure et la sérénité du Nirvāṇa. Car un faux tronc d’arbre ne peut donner que des branches, fleurs et fruits factices. Admettre comme vrai tout ce qui est faux est l’illusion. Reconnaître comme faux tout ce qui n’est pas vrai signifie l’Éveil. Ainsi en se basant uniquement sur les six sens, l’attachement et l’ignorance mènent au cycle du Saṃsāra tandis que le lâcher-prise et l’Eveil conduisent à la délivrance. Il n’y a pas d’autres alternatives. 

L’ATTACHEMENT, C’EST L’IGNORANCE

La vie est un flux en perpétuel mouvement qui ne s’arrête pas une seule seconde ni à aucun endroit précis. Or, nous nous efforçons de la maintenir toujours présente et intacte à des fins personnelles. Cette tendance à vouloir la conserver est issue de l’ignorance qui vient du fait que nous n’en percevons pas la vérité. Étant donné que notre corps non-permanent est soumis au cycle de la naissance, de la vieillesse, de la maladie et de la mort, lequel d’entre nous acceptera-t-il sans souci de vieillir, de souffrir de la maladie et de mourir ? En fait, nous voulons rester toujours jeunes, en parfaite santé et vivre éternellement. Hélas, ce désir irréalisable nous rendra malheureux. C’est pourquoi la vieillesse, la maladie et la mort nous sont autant de souffrances. En revanche, si nous sommes conscients de la loi de l’Impermanence*, nous ne serons pas aussi malheureux quand viendront la vieillesse, la maladie et la mort. Le malheur, s’il existe, proviendra de la déchéance de notre corps, et non pas de l’insatisfaction de ne pouvoir préserver notre vie. Ainsi, celui qui est conscient de l’importance du non-attachement, verra son malheur atténué.

Notre erreur constante est de considérer tout ce que nous voyons, entendons, sentons, goûtons, touchons et pensons comme infaillibles. Nous sommes persuadés de la véracité de nos visions et de nos pensées, et si une autre personne a la même conviction, nous serons vite confrontés à deux visions et à deux pensées divergentes. Ceci mènera sûrement à une dispute qui pourra, sans arrangement équitable, aboutir à de la violence physique. À un petit niveau, c’est une querelle entre individus ; à un niveau moyen, ce sera entre familles ; et à un plus grand niveau, ce sera entre nations. La mèche du conflit une fois allumée, le feu du malheur se répandra partout. L’attachement à notre ego provient de notre ignorance face à la vérité. Aussi, le bouddhisme préconise-t-il d’utiliser la lumière de l’Eveil pour dissiper les obscurités de l’ignorance afin de délivrer l’humanité de la souffrance. Ce salut n’a pas de forme et ainsi ne pourra pas être perçu concrètement. Cependant son utilité profonde et durable est inestimable.

En tant que profane, l’homme ne considère comme réel que ce qui est concret et comme dénué de réalité ce qui ne l’est pas. Prenons l’exemple d’une famille pauvre dans laquelle le père, chef de famille, doit gagner sa vie en pédalant sur un cyclo. Il gagne quotidiennement trois mille à cinq mille đồng*. Étant alcoolique, il gaspille tous les soirs les deux tiers de son gain aux bars. Il ne lui reste qu’une petite somme pour nourrir sa famille qui tombe vite dans le besoin. Pour leur venir en aide, nous leur apportons chaque jour quelques kilos de riz. A quel moment estimerons-nous pouvoir les faire sortir de la misère ? L’unique façon efficace est de persuader avec tact le mari d’abandonner l’alcool. Une fois qu’il se sera repenti et aura cessé de boire, sa famille sera sortie de la difficulté pour longtemps. Le conseil donné au mari de cesser de boire n’a rien de concret, mais il a une portée incalculable. Pour apporter le salut aux êtres vivants, Bouddha nous a clairement enseigné que l’attachement issu de l’ignorance est source de malheurs et qu’il nous fait plonger dans la mer de souffrance. Une fois l’Eveil réalisé et l’attachement abandonné, nous retrouverons la sérénité éternelle.

En résumé, tous les textes commentés ci-dessus nous ont présenté explicitement les causes fondamentales de notre souffrance, le Saṃsāra, ainsi que l’origine de notre délivrance, le Nirvāṇa. Nos six organes sensoriels constituent le moteur principal qui nous tire vers le haut ou vers le bas. En nous appuyant par ignorance sur la perception sensorielle de nos six sens et en y fixant notre attachement, nous créons la source de nos malheurs et de notre renaissance. En revanche, reconnaître avec lucidité la limite et le caractère obtus de nos six facultés, sans aucun préjugé, nous conduit à la sérénité et à la délivrance. La voie du perfectionnement de soi est très simple, le bonheur comme le malheur dépend de l’état éveillé ou non de nos six organes sensoriels. Ne cherchons pas un quelconque endroit lointain pour trouver le bonheur ou fuir le malheur. Contrôler nos six facultés de sens de telle sorte qu’elles ne suivent pas et ne s’attachent pas aux six objets de connaissance, c’est trouver la vraie délivrance.

Un moine s’est adressé un jour à un maître zen :
- En quoi consiste la délivrance ?
Le maître lui a répondu :
- Quand les organes sensoriels ne s’attachent pas aux objets de connaissance, c’est la délivrance.
Cette phrase est à la fois simple et réaliste. L’attachement est l’emprisonnement, la fin de la liberté. Le non-attachement est la liberté, la délivrance, ce qui n’a rien d’étonnant. D’autant plus que les organes sensoriels et les objets de connaissance ne constituent que de formes d’assemblage muables. Si on réalise que le contact des organes de sens avec leurs objets de connaissance est chose virtuelle et muable, il est possible de prendre de la distance vis-à-vis de son ego et des phénomènes extérieurs. C’est alors l’émancipation totale.

lemal

 FIN DU CINQUIEME CHAPITRE
 
 
 

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